Journal des lectures : Les Marana (H. de Balzac)

Qu’on aurait pu sous-titrer :

les vices de la vertu

Une nouvelle,

Oui, si Balzac écrit énormément

(une centaine de titres en à peine plus de 15 ans

(sans compter les œuvres de jeunesse et articles de journaux))

il ne publie pas que des pavés ;

sa Comédie humaine est composée

de beaucoup de nouvelles

(parfois très courtes : cf La Grenadière,

par exemple)

Ces Marana.

À ne pas confondre avec Manara

(c’est pas du tout la même chose)

(quoique, d’une façon ou d’une autre,

il est question de vertu

dans les 2)

Je lis, je lis,

30 pages

40 pages

et je ne vois pas quoi en tirer

si ce n’est un résumé.

L’histoire est presque enlevée

Agréable à lire, sans longueurs

Mais rien ne dépasse vraiment, ni en bien, ni en mal.

Pas même une citation potentielle.

Oh ! Balzac !

Une jolie image par ci

Vêtue simplement, obscure, cachée dans le coin d’un pilier, la mère proscrite se reconnut dans sa fille telle qu’elle avait été un jour, céleste figure d’ange, pure comme l’est la neige tombée le matin même sur une Alpe.

Puis cela s’accélère,

L’amour à l’italienne

À Tarragone,

En Espagne

Montefiore attendit l’heure la plus somnifère de la nuit ; puis, malgré ses réflexions, il descendit sans chaussure, muni de ses pistolets, alla pas à pas, s’arrêta pour écouter le silence, avança les mains, sonda les marches, vit presque dans l’obscurité, toujours prêt à rentrer chez lui s’il survenait le plus léger incident. L’Italien avait revêtu son plus bel uniforme, il avait parfumé sa noire chevelure, et s’était donné l’éclat particulier que la toilette et les soins prêtent aux beautés naturelles ; en semblable occurrence, la plupart des hommes sont aussi femmes qu’une femme.

Le dragueur, quoi…

— Aussitôt que je vous ai vue, dit-il en pur toscan et d’une voix italiennement mélodieuse, je vous ai aimée. En vous ont été mon âme et ma vie, en vous elles seront pour toujours, si vous voulez.

Juana écoutait en aspirant dans l’air le son de ces paroles que la langue de l’amour rendait magnifiques.

Le charmeur, quoi…

Le baratineur, quoi…

— Juana, reprit Montefiore en lui prenant les mains et les baisant avec une passion qui éclatait dans ses yeux, dans ses gestes et dans le son de sa voix, parle-moi comme à ton époux, comme à toi-même. J’ai souffert tout ce que tu as souffert. Entre nous il doit suffire de peu de paroles pour que nous comprenions notre passé ; mais il n’y en aura jamais assez pour exprimer nos félicités à venir. Mets ta main sur mon coeur. Sens-tu comme il bat ? Promettons-nous devant Dieu, qui nous voit et nous entend, d’être l’un à l’autre fidèles pendant toute notre vie. Tiens, prends cet anneau… Donne-moi le tien.

— Donner mon anneau ! s’écria-t-elle avec effroi.

— Et pourquoi non ? demanda Montefiore inquiet de tant de naïveté.

— Mais il me vient de notre saint-père le pape ; il m’a été mis au doigt dans mon enfance par une belle dame qui m’a nourrie, qui m’a mise dans cette maison, et m’a dit de le garder toujours.

— Juana, tu ne m’aimeras donc pas ?

— Ah ! dit-elle, le voici. Vous, n’est-ce donc pas mieux que moi ?

Le libertin, quoi…

La jeune Italienne, affamée de voir son amant, l’en avait bien souvent prié ; mais il s’y était toujours refusé par prudence. D’ailleurs, il avait usé tout son crédit et toute sa science pour endormir les soupçons des deux vieux époux, il les avait accoutumés à le voir, lui militaire, ne plus se lever qu’à midi. Le capitaine s’était dit malade. Les deux amants ne vivaient donc plus que la nuit, au moment où tout dormait dans la maison. Si Montefiore n’avait pas été un de ces libertins auxquels l’habitude du plaisir permet de conserver leur sang-froid en toute occasion, ils eussent été dix fois perdus pendant ces dix jours. Un jeune amant, dans la candeur du premier amour, se serait laissé aller à de ravissantes imprudences auxquelles il est si difficile de résister. Mais l’Italien résistait même à Juana boudeuse, à Juana folle, à Juana faisant de ses longs cheveux une chaîne qu’elle lui passait autour du cou pour le retenir. Cependant l’homme le plus perspicace eût été fort embarrassé de deviner les secrets de leurs rendez-vous nocturnes. Il est à croire que, sûr du succès, l’Italien se donna les plaisirs ineffables d’une séduction allant à petits pas, d’un incendie qui gagne graduellement et finit par tout embraser.

L’envouteur, quoi…

Le onzième jour, en dînant, il jugea nécessaire de confier, sous le sceau du secret, au vieux Perez, que la cause de sa disgrâce dans sa famille était un mariage disproportionné. Cette fausse confidence était quelque chose d’horrible au milieu du drame nocturne qui se jouait dans cette maison. Montefiore, en joueur expérimenté, se préparait un dénoûment dont il jouissait d’avance en artiste qui aime son art. Il comptait bientôt quitter sans regret la maison et son amour. Or, quand Juana, risquant sa vie peut-être dans une question, demanderait à Perez où était son hôte, après l’avoir longtemps attendu, Perez lui dirait sans connaître l’importance de sa réponse : — Le marquis de Montefiore s’est réconcilié avec sa famille, qui consent à recevoir sa femme, et il est allé la présenter.

L’intensité est à son comble,

La mère de la fille, courtisane par tradition familiale, qui veut une vie plus vertueuse pour sa fille, la mère entre en scène :

— A Tarragone, avant la prise de Tarragone ! s’était-elle écriée. Je veux être dans dix jours à Tarragone…

Et sans se soucier d’une cour, ni d’une couronne, elle était arrivée à Tarragone, munie d’un firman quasi-impérial, munie d’or qui lui permit de traverser l’empire français avec la vélocité d’une fusée et dans tout l’éclat d’une fusée. Pour les mères il n’y a pas d’espace, une vraie mère pressent tout et voit son enfant d’un pôle à l’autre.

Bon, il s’en est passé des choses, on arrive à la moitié de l’histoire et voilà ce que Balzac sort de son chapeau :

Ce récit purement introductif n’est point le sujet principal de cette Etude, pour l’intelligence de laquelle il était nécessaire d’expliquer, avant toutes choses, comment il se fit que le capitaine Diard épousa Juana de Mancini, comment Montefiore et Diard se connurent, et de faire comprendre quel coeur, quel sang, quelles passions animaient madame Diard.

Sacré Balzac !

Une bien longue introduction.

Il place au passage que ce n’est pas un roman, mais une

étude

Comme il l’évoque ailleurs & autrement :

“ L’auteur s’attend à d’autres reproches, parmi lesquels sera celui d’immoralité ; mais il a déjà nettement expliqué qu’il a pour idée fixe de décrire la société dans son entier, telle qu’elle est : avec ses parties vertueuses, honorables, grandes, honteuses, avec le gâchis de ses rangs mêlés, avec sa confusion de principes, ses besoins nouveaux et ses vieilles contradictions. Le courage lui manque à dire encore qu’il est plus historien que romancier, d’autant que la critique le lui reprocherait comme s’il s’adressait une louange à lui même […]. ”

Balzac, La Femme supérieure,

préface à l’édition Werdet de 1838.

Ce qu’il enfonce là avec l’importance des classifications, élogeant par la même occasion Napoléon :

Diard n’avait pas un caractère assez fort, assez compact, assez persistant pour commander au monde de cette époque, parce que, à cette époque, chacun voulait s’élever. Les classifications sociales toutes faites sont peut-être un grand bien, même pour le peuple. Napoléon nous a confié les peines qu’il se donna pour imposer le respect à sa cour, où la plupart de ses sujets avaient été ses égaux. Mais Napoléon était Corse, et Diard Provençal. A génie égal, un insulaire sera toujours plus complet que ne l’est l’homme de la terre ferme, et sous la même latitude, le bras de mer qui sépare la Corse de la Provence est, en dépit de la science humaine, un océan tout entier qui en fait deux patries.

Et pour finir, une belle allitération engoncée dans une critique des beaux quartiers

Or, à Paris, de la dernière maison du faubourg Saint-Germain au dernier hôtel de la rue Saint-Lazare, entre la butte du Luxembourg et celle de Montmartre, tout ce qui s’habille et babille, s’habille pour sortir et sort pour babiller, tout ce monde de petits et de grands airs, ce monde vêtu d’impertinence et doublé d’humbles désirs, d’envie et de courtisanerie, tout ce qui est doré et dédoré, jeune et vieux, noble d’hier ou noble du quatrième siècle, tout ce qui se moque d’un parvenu, tout ce qui a peur de se compromettre, tout ce qui veut démolir un pouvoir, sauf à l’adorer s’il résiste ; toutes ces oreilles entendent, toutes ces langues disent et toutes ces intelligences savent, en une seule soirée, où est né, où a grandi, ce qu’a fait ou n’a pas fait le nouveau venu qui prétend à des honneurs dans ce monde.