Loran Bart en voyageur

Pendant des années, il a pris le train.

Souvent voyageur au moyen court

– Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours

– Paris-Austerlitz – Tours –

– Paris-Austerlitz – Tours –

Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours – Paris-Austerlitz – Tours -,

parfois voyageur au long court, voyageur d’une ou deux fois mille kilomètres. Cela l’a rapproché des confins de l’Europe, toujours du côté Est : du côté de la Pologne, de la Grèce. Il n’était pas un aventurier, néanmoins il aimait voyager de façon chaotique, traverser les pays en regardant les paysages, vision latérale et défilante de l’Europe. Le paysage est un spectacle, une multitude d’instants de vies observées, rarement plus de quelques secondes, sauf arrêt prolongé en gare – par deux fois mémorables, il avait été arrêté en gare, en revenant de Cracovie, dans la petite gare champêtre de Bednary car « Lokomotiv kaput », comme avait dit la dame de wagon-nuit  ; et en revenant de Berlin, dans la gare de Chalons-en-Champagne, un train en amont étant en panne. – D’abord voyageur autour de sa chambre, dans les gares, il était à son aise, chez lui est ailleurs. Regarder plus loin, à travers le cliquetis des panneaux indiquant les au-delà de la ville tentaculaire, cela le fait rêver, l’imagination voyageuse – une fois qu’il était par hasard à la gare de l’Est à prendre des photos, les haut parleurs ont annoncé l’arrivée du train en provenance de Budapest. Il s’est précipité sur ledit quai et pris ces 3 photos

Après avoir observé les trains en partance, les voyageurs en revenance, il a fait, lui aussi, son voyage. Il a traversé l’Italie pour voir le pays et pour goûter les massepains de Bari. Il a dormi dans les gares, dans celle de Pise, dans celle de Florence, il a apprécié le mouvement, l’Être en route pendant un mois entier. Il s’est arrêté à Corfou, dans le port, assis sur le quai, les pieds ballants, face à la mer. – lors du retour, le ferry, chypriote, penchait généreusement vers le sud. Bien accroché à son sac de couchage, il passa la nuit sur le pont, devinant les contours de l’Albanie, masses sombres sur fond sombre –.

Après le voyage, comment revenir à la vie sédentaire, aux migrations pendulaires traversant la ville tentaculaire ? Il a essayé … pas longtemps … il est reparti … Il est allé à Cracovie, 24h de train, course pour attraper la correspondance en gare de Berlin, traversée de la Pologne, traverses ferroviaires.

Puis de nouveau Berlin, puis de nouveau Florence, puis de nouveau Berlin, puis de nouveau Florence.

Un jour la mécanique s’est cassée. Il s’est arrêté au bord d’un fleuve, l’horizon plat d’une région sans relief. Je me méfie des expéditions lointaines entreprises par des voyageurs incapables de faire le tour de leur chambre*. Ne prenant plus que le train pour aller ici-et-là, friandises de voyages, ébauches de cliquetis.

mai 2011

*trouvé dans Le Vagabond approximatif de George Picard

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Ce texte a fait l’objet d’un vase communicant en juin 2011 avec les Flâneries quotidiennes de Franck Queyraux

1000 kilomètres plus à l’Est (croquis de Berlin)

agrémenté de 2 poèmes de Landry Jutier

 

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Oeil rond et argent

piqué sur une flèche

A Alexanderplatz.

Partout il me suit

Partout je le vois.

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1000 KILOMÈTRES PLUS À L’EST

ai, sur Unter der Linden, vu la foule réunifiée des jours de fête nationale

ai, à Potsdam, vu le chic quartier hollandais, petites maisons de briques et rues aux pavés lisses

ai, dans ce quartier hollandais, esquissé une chorégraphie pour les besoins d’une photo panoramique ……………..

ai, à Potsdam toujours, chez un glacier, entendu Thomas Fersen, Véronique Sanson, Vincent Delerm et autres chanteurs français

ai, aux WC publics de Sans-souci, Potsdam encore, mis 45 cents en entrant avant de m’apercevoir en sortant que le tarif du pipi était de 30 cents seulement.

ai, au Bode Museum, sur la Museum Insel, vu un petit Rembrandt aux coloris rosés

ai, au Bode Museum aussi, vu des gardiens de salle de plus de 62 ans

1000 KILOMÈTRES PLUS À L’EST,

par temps gris, ai dessiné le Berliner Dom

1000 KILOMÈTRES PLUS À L’EST

ai, Willibald-Alexis-Strasse, vu un chien porter le journal de sa maîtresse

ai, dans Kreuzberg, mangé une Currywurst chez le spécialiste de la ville

ai, FriedrichStasse, acheté un livre pour enfant afin d’apprendre quelques mots d’Allemand

me suis, sur Gendramenmarkt, fait heurté par un petit vieux qui n’a pas voulu changer sa trajectoire de marche d’un iota

ai, à la Neue Nationalgalerie, vu un monsieur à chapeau devant un tableau de Max Ernst

ai, dans un appartement du quartier de Wilhelmsdorf, mangé une pizza vers 4h30 de l’après-midi

1000 KILOMÈTRES PLUS À L’EST,

en toute fin d’après midi, ai dessiné le mur

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Octobre

Journée gris souris

Enseignes sur la Friedrichstrasse déjà allumées.

16h

Comme si la nuit tombait.

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La photo panoramique prise dans le quartier hollandais de Potsdam a été faite par Guillaume Hobi (avec qui nous avions déjà fait ça :

Ce texte est la suite, en quelque sorte, de celui-ci, proposé à Urbain-trop-urbain.