Le manuscrit de Balzac est une tour de Pise

 Le papier est marron. Œuvre de l’époque ou œuvre du temps ? Sur ce papier, un peu rongé sur certains côtés, 3 tâches trop régulières pour avoir été faites par des doigts (mais imaginons, séquence émotion, que ce soit ceux de Balzac tenant trop longtemps le papier et le travail de l’acidité de la transpiration de Balzac ::: fane clube « ouahhhh !!!!! c’est la transpiration de Balzac » / sûr ça fait rêver) ; 3 tâches peut-être dues au conservateur ou à un propriétaire peu scrupuleux ; ou alors ….  Sur ce papier un texte imprimé – Variétés. La Chine et les chinois placé en en-tête. Impression pas propre. Impression pas droite. Le pavé de texte est dans les proportions de la tour de Pise ; chapeau compris ; et penche du même côté droit. La feuille est grande, quelques 25x40cm, la Torre pendante typographiées est confinée dans la moitié gauche, large marge dans la partie, donc, droite.

Les épreuves corrigées (puisque c’en est une, là sous mes yeux) de Balzac sont bien connues, sont une part de sa célébrité ; les épreuves corrigées de Balzac sont belles & impressionnantes d’entrelacs de textes & de renvois, de notes & ratures.

La partie droite, c’est là que les choses sérieuses commencent.

Milieu haut : I

En diagonale, barrant le coin haut-droit : l’injonction de Bz : « donnez moi une autre épreuve double » et signature avec le fameux z tombant.

Descente en rappel (toujours avec Bz, plus prudent) de la partie droite, celle des corrections : une ligne brisée comme une mouette dessinée sur l’horizon.

Signes du langage typographique dont la signification est : ajoutez ça ici / retranchez ça là / …  Et des blocs de textes manuscrits qui viennent compléter la typographie initiale ; des blocs de textes emplûmés (d’oie) qui s’imbriquent visuellement & textuellement comme si c’était un puzzle.

Parce qu’un manuscrit de Balzac n’est pas une tour de Pise ;

Parce qu’un manuscrit de Balzac est un puzzle.

 Gobenceaux-manuscritPise

(photo du manuscrit La Chine et les chinois, Musée Balzac)

Pièces / Pezzi (4)

Gratte.Gratte.Gratte. Ils aiment essayer de toucher le papier peint pour voir si c’en est du vrai, papier peint. « Non Madame » (parce que souvent c’est une dame d’un certain âge qui tente une approche dudit papier ; les plus jeunes, étrangement, ça les intéresse nettement moins ce papier en tentures en trompe-l’œil) « Non Madame, il ne faut pas toucher » glisse aimablement mais fermement la surveillante des salles. Souvent la dame (celle d’un certain âge) répond « c’était juste pour voir » et la surveillante se retient de répondre « voyez sans les mains, Madame » tout en déplaçant un plot qui retend la ficelle délimitant l’espace autorisé aux visiteurs.

(Le grand salon)

Pièces / Pezzi (3)

Ils passent, s’arrêtent. Ils se penchent, limite en ajustant leurs lunettes, pour regarder dans le tambour, dans le ventre de la donneuse de temps. « Elle marche ? » ou « elle marche ! » tout est dans la ponctuation, c’est selon qu’ils prennent le temps d’observer, de regarder par la vitre-lentille, où il balance, car oui, il balance le balancier ; c’est selon le temps qu’ils prennent d’écouter, car oui, il tique-taque encore le mécanisme. Puis ils se tournent à 45° sur la gauche, toujours courbés & lunettes ajustées, ajustées cette fois-ci sur le cartel d’explications : Horloge de parquet, Fin XVIIIème siècle, en noyer. Et sonne l’heure des 15h, trois coups de marteau qui résonnent sur une pièce métallique.

(vestibule)

Pièces / Pezzi (2)

Surpris, ils sont. Surpris par le papier peint, par le vert flashy du papier peint. Un papier modèle 1820′ avec sa scène néo-classique (un banquet et des personnages visiblement grecs) et ses marbrures. Surpris, il sont, « Ah c’est un beau vert ! ». Vrai que c’est un beau vert, lumineux & sucré. Puis éblouis, ils sont, par la ménagère en vermeil : « de l’argent recouvert d’or » précise le guide ; alors souvent, l’un d’entre eux acquiesce en lâchant à voix basse « C’est chic ! »

(La salle à manger)

Pièces / Pezzi (1)

Escalierdroit2Ils tournent la poignée de la porte à bossage, la porte XVIIè siècle, celle dite Louis XIII, celle principale, ouvrant sur l’ouest les nuages de mer et le temps des heures à venir. Ils la tournent cette poignée, ils luttent avec la poignée, abandonnent parfois, persévèrent souvent jusqu’à ce que les gonds tournent sur eux-même pour laisser entrevoir l’escalier. Entrevoir d’abord, parce que le contraste entre l’extérieur lumineux et l’intérieur plus sombre oblige leurs yeux à un instant d’adaptation ; puis se précise donc ce grand escalier, celui dit droit, celui qui donne accès au musée, celui qui donne accès à Balzac à Saché.

(Le grand escalier)