Journal des lectures : L’Enfant maudit (Balzac)

Si je le choisis, celui-ci, c’est par affinité géographique (besoin de vent et d’air marin) : il se passe sur la côte Normande du côté de Bayeux.

L’irruption soudaine d’un insecte doré, les reflets du soleil dans l’Océan, les tremblements du vaste et limpide miroir des eaux, un coquillage, une araignée de mer, tout devenait événement et plaisir pour cette âme ingénue.

Ou encore

Il demeura des journées entières accroupi dans le creux d’un roc, indifférent aux intempéries de l’air, immobile, attaché sur le granit, semblable à l’une des mousses qui y croissaient, pleurant bien rarement ; mais perdu dans une seule pensée, immense, infinie comme l’Océan ; et comme l’Océan, cette pensée prenait mille formes, devenait terrible, orageuse, calme.

Ca fait rêver, non ?

Affinités familiales aussi avec cette région, je truste tous les Balzac Normands (bon y’en n’a pas pléthore, 3 ou 4  max. L’Enfant Maudit et La Femme abandonnées du côté de Bayeux, La vieille fille et Le cabinet des Antiques vers Alençon, Modeste Mignon près Le Havre ; bon, ça fait un poil plus que prévu.)

Aller, une petite incursion paysagère dans un coin de bocage, c’est vert, c’est frais, profitez, il fait beau

La maison de maître Beauvouloir était exposée au midi, sur le penchant d’une de ces douces collines qui cerclent les vallées de Normandie ; un bois épais l’enveloppait au nord ; des murs élevés et des haies normandes à fossés profonds, y faisaient une impénétrable enceinte. Le jardin descendait, en pente molle, jusqu’à la rivière qui arrosait les herbages de la vallée, et à laquelle le haut talus d’une double haie formait en cet endroit un quai naturel. Dans cette haie tournait une secrète allée, dessinée par les sinuosités des eaux, et que les saules, les hêtres, les chênes rendaient touffue comme un sentier de forêt. Depuis la maison jusqu’à ce rempart, s’étendaient les masses de la verdure particulière à ce riche pays, belle nappe ombragée par une lisière d’arbres rares, dont les nuances composaient une tapisserie heureusement colorée : là, les teintes argentées d’un pin se détachaient de dessus le vert foncé de quelques aulnes ; ici, devant un groupe de vieux chênes, un svelte peuplier élançait sa palme, toujours agitée ; plus loin, des saules pleureurs penchaient leurs feuilles pâles entre de gros noyers à tête ronde. Cette lisière permettait de descendre, à toute heure, de la maison vers la haie, sans avoir à craindre les rayons du soleil. La façade, devant laquelle se déroulait le ruban jaune d’une terrasse sablée, était ombrée par une galerie de bois autour de laquelle s’entortillaient des plantes grimpantes qui, dans le mois de mai, jetaient leurs fleurs jusqu’aux croisées du premier étage. Sans être vaste, ce jardin semblait immense par la manière dont il était percé ; et ses points de vue, habilement ménagés dans les hauteurs du terrain, se mariaient à ceux de la vallée où l’œil se promenait librement. Selon les instincts de sa pensée, Gabrielle pouvait, ou rentrer dans la solitude d’un étroit espace sans y apercevoir autre chose qu’un épais gazon et le bleu du ciel entre les cimes des arbres, ou planer sur les plus riches perspectives en suivant les nuances des lignes vertes, depuis leurs premiers plans si éclatants, jusqu’aux fonds purs de l’horizon où elles se perdaient, tantôt dans l’océan bleu de l’air, tantôt dans les montagnes de nuages qui y flottaient.

Revenons à la mer, ou à l’océan (c’est tantôt les deux pour Balzac).

Tout est lié.

La mer, c’est des sentiments, des émotions

Déjà plusieurs fois il avait trouvé de mystérieuses correspondances entre ses émotions et les mouvements de l’Océan.

La mer c’est tout comme, et ça va avec, c’est changeant, c’est multiple

Néanmoins Etienne, toujours en proie à ses souvenirs, resta le lendemain jusqu’au soir à sa fenêtre, occupé à regarder la mer ; elle lui offrit des aspects si multipliés, qu’il croyait ne l’avoir jamais vue si belle. Il entremêla ses contemplations de la lecture de Pétrarque, un de ses auteurs favoris, celui dont la poésie allait le plus à son cœur par la constance et l’unité de son amour.

C’est immense comme ceux d’Etienne pour Gabrielle, et réciproquement

ils devaient se rencontrer au bord de la mer qui leur offrait une image de l’immensité de leurs sentiments.

Visiblement pour l’auteur, [addition] mer + sentiment = poésie italienne ::: nature + homme = littérature :::

Pétraque ci-avant, et Tibulle ici

Ils se vantaient leurs beautés l’un à l’autre ingénument, et dépensaient dans ces secrètes idylles des trésors de langage en devinant les plus douces exagérations, les plus violents diminutifs trouvés par la muse antique des Tibulle et redits par la Poésie italienne. C’était sur leurs lèvres et dans leurs cœurs le constant retour des franges liquides de la mer sur le sable fin de la grève, toutes pareilles, toutes dissemblables. Joyeuse, éternelle fidélité !

Mais je note surtout : le constant retour des franges liquides de la mer sur le sable fin de la grève, toutes pareilles, toutes dissemblables.

C’est Knorr ! J’adore !

Mais venons en au fait géographique, à cette running pensée de Balzac : le lieu agit sur l’homme – nous connaissons la secrète influence exercée par les lieux sur les dispositions de l’âme.

Et en entier, voilà ce que cela donne :
Quand nous avons fait quelques pas dans la vie, nous connaissons la secrète influence exercée par les lieux sur les dispositions de l’âme. Pour qui ne s’est-il pas rencontré des instants mauvais où l’on voit je ne sais quels gages d’espérance dans les choses qui nous environnent ? Heureux ou misérable, l’homme prête une physionomie aux moindres objets avec lesquels il vit ; il les écoute et les consulte, tant il est naturellement superstitieux. En ce moment, la comtesse promenait ses regards sur tous les meubles, comme s’ils eussent été des êtres ; elle semblait leur demander secours ou protection ; mais ce luxe sombre lui paraissait inexorable.

Mais, déterminisme, il ne faut pas dépasser sa frontière naturelle, ni s’éloigner de SON lieu, celui de sa plénitude

Aussi, comme un Lapon qui meurt au delà de ses neiges, se fit-il une délicieuse patrie de sa cabane et de ses rochers ; s’il en dépassait la frontière, il éprouvait un malaise indéfinissable.

Ainsi, viendrait du début, des sons & sens qui nous forment

Nous créons les lieux par ce que nos sens nous en transmettent.

Lorsque sa jeune oreille s’efforça de percevoir les sons et de reconnaître leurs différences, il entendit le bruissement monotone des eaux de la mer qui venait se briser sur les rochers par un mouvement aussi régulier que celui d’un balancier d’horloge. Ainsi les lieux, les sons, les choses, tout ce qui frappe les sens, prépare l’entendement et forme le caractère, le rendit enclin à la mélancolie.

D’ac ou pas d’ac, à voir.

Et pour finir, la citation touristique, un brin moqueuse peut-être,

La chambre était une de celles que, de nos jours encore, quelques concierges octogénaires annoncent aux voyageurs qui visitent les vieux châteaux en leur disant : — Voici la chambre de parade où Louis XIII a couché.