Journal des lectures : L’Illustre Gaudissart (Balzac)

Une autre image de Balzac, cet Illustre Gaudissart, un Balzac ouvertement Rabelaisin et pochard.

Il l’est aussi dans ses romans sérieux,

mais par moments noyés dans le dramatique de l’histoire

(disons Le Père Goriot ou Le Lys dans la vallée),

ce n’est pas ce qu’il en reste au lecteur.

Il semble d’ailleurs que la convoitée Duchesse de Castries n’aie que peu apprécié de se voir dédicacer cette histoire drôlatique

Que Balzac aurait écrit en 1 nuit (dit-il à Mme Hanska),

mais peut/doit-on le croire, ce fantaisiste de la correspondance ?

L’Illustre Gaudissart, je le lis, le relis, le cite ou l’évoque. Ça finit bien contrairement à beaucoup d’histoires (surtout les plus connues) de Balzac.

Ce roman commence comme une physiologie, ce genre apprécié de Balzac et à la mode à l’époque, du commis voyageur. Car Gaudissart est un commis réputé à Paris pour être capable de vendre tout et n’importe quoi à n’importe qui ; il vient donc à Vouvray vendre des idées (des abonnements) aux Vouvrillons (les habitants de Vouvray).

Le déménagement de 1830 enfanta, comme chacun le sait, beaucoup de vieilles idées, que d’habiles spéculateurs essayèrent de rajeunir. Depuis 1830, plus spécialement, les idées devinrent des valeurs ; et, comme l’a dit un écrivain assez spirituel pour ne rien publier, on vole aujourd’hui plus d’idées que de mouchoirs. Peut-être, un jour, verrons-nous une Bourse pour les idées ; mais déjà, bonnes ou mauvaises, les idées se cotent, se récoltent, s’importent, se portent, se vendent, se réalisent et rapportent. S’il ne se trouve pas d’idées à vendre, la Spéculation tâche de mettre des mots en faveur, leur donne la consistance d’une idée, et vit de ses mots comme l’oiseau de ses grains de mil. Ne riez pas ! Un mot vaut une idée dans un pays où l’on est plus séduit par l’étiquette du sac que par le contenu. N’avons-nous pas vu la Librairie exploitant le mot pittoresque, quand la littérature eut tué le mot fantastique. Aussi le Fisc a-t-il deviné l’impôt intellectuel, il a su parfaitement mesurer le champ des Annonces, cadastrer les Prospectus, et peser la pensée, rue de la Paix, hôtel du Timbre. En devenant une exploitation, l’intelligence et ses produits devaient naturellement obéir au mode employé par les exploitations manufacturières.

 

Balzac physiologise donc le commis voyageur (être un Gaudissart devient un nom commun dans son Gaudissart II) mais place aussi quelques réflexions sur le voyage et les régions que notre commis relie à Paris (allitération en i). Le commis ne sais pas regarder, et

Je rajoute

Qui ne sais pas regarder ne sais pas voyager.

Le commis ne sais pas voyager ; CQFD

N’est-il pas l’anneau qui joint le village à la capitale, quoique essentiellement il ne soit ni Parisien, ni provincial ? car il est voyageur. Il ne voit rien à fond ; des hommes et des lieux, il en apprend les noms ; des choses, il en apprécie les surfaces ; il a son mètre particulier pour tout auner à sa mesure ; enfin son regard glisse sur les objets et ne les traverse pas. Il s’intéresse à tout, et rien ne l’intéresse.

 

Balzac fait parfois preuve de parisianisme : Paris et le désert français avant l’heure

 

Personne en France ne se doute de l’incroyable puissance incessamment déployée par les Voyageurs, ces intrépides affronteurs de négations qui, dans la dernière bourgade, représentent le génie de la civilisation et les inventions parisiennes aux prises avec le bon sens, l’ignorance ou la routine des provinces.

 

Ce n’est pas la seule fois dans son œuvre, correspondance comprise.

Balzac est même assez sévère plus particulièrement avec les tourangeaux. Ce n’est pas la seule fois dans son œuvre, correspondance comprise.

Ils sont têtes dures

J’ai, de Paris à Blois, placé près de deux millions ; mais à mesure que j’avance vers le centre de la France, les têtes deviennent singulièrement plus dures, et conséquemment les millions infiniment plus rares.

& feignasses

Ici, quelques renseignements sur l’esprit public de la Touraine deviennent nécessaires. L’esprit conteur, rusé, goguenard, épigrammatique dont, à chaque page, est empreinte l’œuvre de Rabelais, exprime fidèlement l’esprit tourangeau, esprit fin, poli comme il doit l’être dans un pays où les Rois de France ont, pendant long-temps, tenu leur cour ; esprit ardent, artiste, poétique, voluptueux, mais dont les dispositions premières s’abolissent promptement. La mollesse de l’air, la beauté du climat, une certaine facilité d’existence et la bonhomie des mœurs y étouffent bientôt le sentiment des arts, y rétrécissent le plus vaste cœur, y corrodent la plus tenace des volontés. Transplantez le Tourangeau, ses qualités se développent et produisent de grandes choses, ainsi que l’ont prouvé, dans les sphères d’activité les plus diverses, Rabelais et Semblançay ; Plantin l’imprimeur, et Descartes, Boucicault, le Napoléon de son temps, et Pinaigrier qui peignit la majeure partie des vitraux dans les cathédrales, puis Verville et Courier. Ainsi le Tourangeau, si remarquable au dehors, chez lui demeure comme l’Indien sur sa natte, comme le Turc sur son divan. Il emploie son esprit à se moquer du voisin, à se réjouir, et arrive au bout de la vie, heureux. La Touraine est la véritable abbaye de Thélême, si vantée dans le livre de Gargantua, il s’y trouve, comme dans l’œuvre du poète, de complaisantes religieuses, et la bonne chère tant célébrée par Rabelais y trône. Quant à la fainéantise, elle est sublime et admirablement exprimée par ce dicton populaire : — Tourangeau, veux-tu de la soupe ? — Oui. — Apporte ton écuelle ? — Je n’ai plus faim. Est-ce à la joie du vignoble, est-ce à la douceur harmonieuse des plus beaux paysages de la France, est-ce à la tranquillité d’un pays où jamais ne pénètrent les armes de l’étranger, qu’est dû le mol abandon de ces faciles et douces mœurs. À ces questions, nulle réponse. Allez dans cette Turquie de la France, vous y resterez paresseux, oisif, heureux. Fussiez-vous ambitieux comme l’était Napoléon, ou poète comme l’était Byron, une force inouïe, invincible vous obligerait à garder vos poésies pour vous, et à convertir en rêves vos projets ambitieux.

& plein d’inertie & cupides

Notre pays est un pays qui marche à la grosse suo modo, un pays où jamais une idée nouvelle ne prendra. Nous vivons comme vivaient nos pères, en nous amusant à faire quatre repas par jour, en nous occupant à cultiver nos vignes et à bien placer nos vins. Pour tout négoce nous tâchons boonifacement de vendre les choses plus cher qu’elles ne coûtent.

.

Heureusement, en Touraine, il y a les paysages …

En haut d’une délicieuse vallée, nommée la Vallée Coquette, à cause de ses sinuosités, de ses courbes qui renaissent à chaque pas, et paraissent plus belles à mesure que l’on s’y avance, soit qu’on en monte ou qu’on en descende le joyeux cours, demeurait dans une petite maison entourée d’un clos de vignes, un homme à peu près fou, nommé Margaritis.

pour compenser des habitants

En arrivant à Vouvray, le jeune homme s’écria : — Voilà un beau site !

— Oui, monsieur, dit Gaudissart, mais le pays n’est pas tenable, à cause des habitants. Vous y auriez un duel tous les jours.

 .

Un de mes romans préférés de Balzac, cet Illiutre Gaudissart, un par lequel on pourrait netre dans La Comédie humaine, pour ne pas être découragé tout de suite.

Publicité